Neruda

En el café del mundo
Juan Manuel Roca / Biblia de los pobres

Por la mañana,
Cuando un sol de páramo merodea la ciudad,
Las meseras del café
Limpian las sobras de una conversación
Y las manchas que dejan en el piso
Las voces nocturnas.
A alguien debió caérsele en el baño
La palabra amor,
Pues no se soporta el olor a flor marchita
Que invade sus muros.
Limpien, limpien las palabras regadas en el mantel
O esparcidas como cigarros apagados
En los rincones. Sólo son pavesas de voces,
Cenizas del verbo, frutas disecadas.
Las meseras espantan a las moscas con un diario:
Las palabras no son hadas caídas de labios del fabulador,
Ni cadáveres en fuga hacia el vacío,
Pero las moscas se frotan las patas
Frente a sus melancólicos residuos.
Tal vez al borde del vaso con restos de cerveza
La palabra país se haga recuerdo
Pues hay algo de tela de araña, de ruina de tiempo,
De un mestizaje de sueño y pesadumbre
En torno de la mesa.
Aún están las sillas con las patas arriba
Como carrileras o pirámides o torres
De una Babel silenciosa
Y las meseras se aprestan a barrer un otoño de voces.
Palabras que fueron mordidas con pasión
O arrojadas por la espalda,
Palabras titubeantes en labios del herido
O untadas de una tenaz melancolía,
Mariposas derribadas en su vuelo.
Las meseras ignoran que limpian y barren las palabras,
Que algunas recorrieron el mundo, muelles y hangares,
Para venir a morir bajo una mesa.
La palabra libertad que agitó su bandera de harapos
Se deshace entre los restos de la noche
Y no es fácil remendarla con agujas de lluvia.
Ni perros ni gatos husmean los escombros
Donde se acumulan los sinónimos del hombre.
Hasta la palabra miedo
Ha mudado de piel y ya no tiembla.
Ah, diligentes meseras que ponen orden a los objetos
Aunque nadie los nombre. Yo las veo
Recogiendo pedazos de la palabra cristal,
Entre enceguecidos Narcisos
Que fingen no verse en aguas pantanosas.
La palabra muerte no quiere deshacerse,
Se resiste a morir en el café de la noche.
Las pulcras meseras recogen,
Entre papeles arrugados y sombras y cabellos y fantasmas,
Las sílabas del día, sus inciertas potestades.
Limpien, limpien llanuras, suburbios, subterráneos,
Glaciares y jardines y patios y collares,
El eco del silencio que atraviesa la noche.

 

 

Au café du monde   
Juan Manuel Roca / Biblia de los pobres 

Le matin,
Quand un soleil de « páramo »(1) rôde en ville,
les serveuses du café
Nettoient les restes d’une conversation
Et les taches que laissent sur le sol
Les cris de la nuit.
Quelqu’un a dû laisser tomber dans les toilettes
Le mot amour,
Vu l’insupportable odeur de fleur fanée
Qui en envahit les murs.
Nettoyez, nettoyez les mots dispersés sur la nappe
Ou éparpillés tels des cigarettes éteintes
Dans les recoins. Ce ne sont que reliefs de cris,
Cendres du verbe, fruits disséqués.
Les serveuses chassent les mouches avec un journal :
Les mots ne sont ni des fées tombées des lèvres du fabulateur,
Ni des cadavres en fuite vers le vide,
Mais les mouches se frottent les pattes
Face à leurs mélancoliques résidus.
Il se peut que sur le bord du verre où reste un peu de bière
Le mot pays se fasse souvenir
Car il y a une sorte de toile d’araignée, de ruine du temps,
Un métissage de rêve et de cauchemar
Autour de la table.
Les chaises ont encore les pieds en l’air
Comme des rails ou des pyramides ou bien les tours
D’une Babel silencieuse
Et les serveuses s’apprêtent à balayer un automne de cris.
Des mots qui furent passionnément mordus
Ou jetés par derrière,
Des mots qui titubent aux lèvres du blessé
Ou enduits d’une tenace mélancolie,
Papillons fauchés en plein vol.
Les serveuses ignorent qu’elles nettoient et balaient les mots,
Que certains parcoururent le monde, de quais en hangars,
Pour venir mourir sous une table.
Le mot liberté qui agita son drapeau en haillons
Se défait parmi les restes de la nuit
Et il n’est pas facile de le raccommoder avec des aiguilles de pluie.
Pas même un chien ou un chat pour renifler les décombres
Où s’accumulent les synonymes de l’homme.
Jusqu’au mot peur
Qui a changé de peau et ne tremble plus.
Ah, les serveuses zélées qui remettent les objets en ordre
Bien que personne ne les nomme. Moi je les vois
Ramasser les bris du mot verre,
Parmi des Narcisses aveuglés
Qui feignent de ne pas se voir en des eaux fangeuses.
Le mot mort ne veut pas se défaire,
Se refuse à mourir dans le café de la nuit.
Les soigneuses serveuses ramassent,
Parmi les papiers froissés et les ombres et les cheveux et les fantômes,
Les syllabes du jour, leurs puissances incertaines.
Nettoyez, nettoyez donc plaines, faubourgs, souterrains,
Glaciers et jardins et puis cours et colliers,
L’écho du silence qui traverse la nuit.

 (1)     Le « páramo » est un écosystème proche de la steppe typique des hautes terres colombiennes


article publié le 18/03/2019

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