HAÏTI

lundi 7 oct 2019

C’est avec le cœur gros que j’ai été rapatriée hier de mon pays d’adoption des 3 derniers mois, soit un mois avant ma date de retour prévue. Je suis triste d’être partie aussi rapidement, certes, mais encore plus déchirée d’avoir laissé le pays dans l’état qu’il est actuellement. Ce qui me bouleverse surtout, c’est l’impuissance que j’ai ressentie par rapport à l’injustice dans le monde. On entend souvent parler d’inégalités et on prend trop souvent pour acquis les privilèges que l’on a, qui aujourd’hui m’ont rendu profondément inconfortable…

Cette fin de semaine, des grands brûlés victimes d’une explosion dans la ville où je me trouvais ont eu de la difficulté à joindre les soins nécessaires pour assurer leur survie, non seulement parce que le personnel de santé est insuffisant dans la plupart des établissements à l’échelle nationale (car l’état haïtien paie rarement ses employés qu’il s’agisse de médecins, professeurs, policiers, etc.), mais également parce que l’accès à l’eau potable, aux médicaments, à l’équipement est très limité et encore plus récemment avec la rareté du carburant. Puisque l’électricité en Haïti repose essentiellement sur la combustion d’essence, la pénurie qui secoue actuellement le pays oblige même les prestataires de soins de santé à faire payer le carburant aux patients avant même d’être soignés, déjà que l’accès aux soins et services de santé était précaire pour la majorité de la population. Ajoutons à cela le fait que l'instance de production et de contrôle de l’électricité en Haïti (EDH) ne dessert plus la ville des Cayes depuis plus de deux mois, laissant la population dans le «blakawout» au quotidien. L’accès aux aliments, déjà extrêmement restreint, est encore plus difficile avec la hausse exponentielle du prix des denrées accentuée par la rareté du carburant. L’absurdité de la situation c’est que pendant que plus de 6 millions d’Haïtiens vivent sous le seuil de pauvreté (moins de 2,41 $/j) et plus de 2,5 millions sous le seuil de la pauvreté extrême (1,23 $/j), le président Jovenel Moïse continue de faire la sourde oreille après avoir participé au détournement de plus de 4.2 milliards de dollars américains en fonds publics prêtés avec un taux d’intérêt annuel de 1% par le Venezuela. Contradictoirement, Moïse s’est également opposé au régime de Maduro en tête de ce pays lors de la réunion de l’OEA. Le tout sans compter que les dirigeants des pays influents dont le Canada sont complices de cette corruption en l’appuyant. Tristement, les moyens de revendication actuellement utilisés pour dénoncer l’injustice (pillage de commerces, supermarchés, bureaux d’organisations nationales et internationales, voire même des hôpitaux pour n’en citer que quelques-uns) affecteront ultimement davantage ces gens se trouvant déjà sous le seuil de la pauvreté, pendant que les riches dirigeants du pays ainsi que leurs amis continueront de s’enrichir.

C’est avec la contribution de plusieurs organisations et d’un effort collectif soutenu pour trouver de l’essence qu’on a pu mobiliser une ambulance pour conduire les blessés de l’explosion aux soins spécialisés de Port-Au-Prince (à plus de 4 heures de route des Cayes). Tragiquement, un enfant parmi les victimes à bord de l’ambulance a succombé à ses brûlures car le véhicule a été retenu dans les barricades paralysant la route vers la capitale depuis plusieurs semaines.

IRONIQUEMENT, le 1er octobre 2019, on a rapidement fait venir un avion privé à l’aéroport Antoine-Simon des Cayes pour me rapatrier avec d’autres collègues étrangers à l’aéroport de Port-Au-Prince, le tout en moins d’une heure, dans le but d’assurer notre sécurité. Savoir que ce même privilège aurait pu contribuer à sauver des vies me bouleverse sincèrement et me fait sentir injustement privilégiée. Pourquoi ma sécurité vaudrait-elle plus que la vie d’un enfant souffrant?

Une fois de plus, je salue le courage des Haïtiennes et Haïtiens, un peuple des plus résilients que je connaisse. Je garde espoir de voir ce pays changer au cours des prochaines années. Le travail sera ardu mais chacun de nous peut contribuer en cessant d’endosser la corruption dans les pays comme Haïti. Je vous invite à partager ce témoignage afin que les gens prennent conscience de ce qui se passe à l'heure actuelle, puisque les médias n'osent pas même effleurer le sujet visiblement.

Andréanne Bégin
Professionnelle de santé qui travaillait aux cayes

 

publié le lundi 7 oct 2019

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